Le courrier de l’Ouest
mardi 26 avril 2011, par Lelian

Collectif issu de la première promotion de l’Ecole du TNB de Rennes, le Théâtre des Lucioles vit avec l’auteur Leslie Kaplan, depuis une quinzaine d’années, une histoire créative fertile. En 2007, les lucioles Frédérique Loliée et Elise Vigier demandent à Leslie Kaplan d’écrire pour la scène autour du thème des femmes et de la consommation. Ainsi naît « Duetto5 – Toute ma vie j’ai été une femme », duo qui connaîtra une suite, en 2010, « Louise, elle est folle ».
Ces deux variations très contemporaines étaient données, la semaine dernière, au Quai . Si leurs formes diffèrent, les propos est le même. On y parle ici de consommation, de figures féminines imposées, de sexe vain et de questionnements existentiels, d’être au monde et de le regarder, d’ «angoisse qui angoisse » et du sentiment de « s’éparpiller », de divinité (« Dieu est-il français ? »), du « trop de gens partout », de « pouvoir manger la cuisse d’une vache que tu connais »… bref, du fait d’être là, ici et maintenant et de l’assumer, ou pas !
Les formes, c’est celle atelier à l’envers de « Duetto5 » (une cuisine en façade , des cartons, un bordel organisé) et celle d’un cube jouant les ombres et les lumières, les chausses-trapes et les prolongements virtuels de « Louise » (magnifique jeu de lumières et d’images).
La manière, elle, se forme dans le langage. Répétitions, syllogismes, logorrhées stylées et métaphores filées, absurdités sensées forment syntaxe à la fois proche et étourdissante, actuelle et hors temps.
On comprend aisément le trouble d’un certain public confronté à cette novlangue. Mais l’énergie des deux devisantes Frédérique Loliée et Elise Vigier, l’esthétique du geste théâtral et l’humour cinglant de ces deux joutes nous auront, nous, totalement séduits.

La tribune d’Angers
jeudi 21 avril 2011, par C.P.

Après l’adaptation de Toute ma vie j’ai été un femme, les deux metteuses en scènes et actrices Elise Vigier et Frédérique Loliée s’attaquent à un autre texte de la franco-américaine Leslie Kaplan : Louise, elle est folle.
Fraîchement sortie aux éditions P.O.L. et spécialement écrite pour le théâtre, cette histoire courte a pour héroïne une femme qui répond au doux nom de Louise. Qui est-elle ? Une fille perdue dans Paris, absente du plateau. On dit d’elle qu’elle est folle. Mais l’est-elle vraiment ou sont-ce ces deux femmes anonymes qui l’interpellent qui sont folles£ ? Sur scène, les deux complices de la scène rennaise du Théâtre des Lucioles se renvoient la balle, se chamaillent à ce sujet. Dans un univers graphique rappelant tantôt les structures métalliques des villes tantôt les vertes prairies fantasmées, des ombres passent, des fenêtres s’ouvrent et d’autres se ferment.
Mais les personnages restent toujours là, sed ébattant contre les clichés, les effluves d’alcool et de tabac.
Elles attendent des réponses à leurs questions sur la fièvre consumériste mais aussi les multiples identités d’un être féminin… récit de femme joué par des femmes, la pièce Louise, elle est folle a d’emblée été reconnue comme un projet d’envergue et transfontalier. Soutenues par un fonds européen, des versions italiennes et polonaises sont déjà en cours de création. Les metteuses en scène vont par ailleurs parcourir trois villes (Paris, Naples et Varsovie) jusqu’à mars 2012 pour réaliser des minis-portraits de femmes d’Europe. Ces web-documentaires sont mis en ligne au fur et à mesure du périple de la pièce. Le premier extrait tourné dans la ville Lumière est déjà disponible. Il faudra attendre mai 2011 et mars 2012 pour découvrir la vie des napolitaines et des Varsoviennes du XXIe siècle.

Allegro Théâtre
http://allegrotheatre.blogspot.com/
lundi 14 mars 2011
Louise, elle est folle de Leslie Kaplan
Deux femmes visiblement excédées l’une par l’autre. Les mots jaillissent de leurs bouches sans qu’elles les maîtrisent. Leurs propos n’ont rien à voir avec la réalité mais tout avec les clichés les plus éculés. La carnassière machine capitaliste a broyé leurs personnalités. Ce qui leur reste d’humanité elles le projettent sur Louise , une tierce personne, qui n’apparaît jamais mais qui, concentre leurs désirs les plus enfouis. Elles n’ont donc de cesse de la traiter de folle.
Leslie Kaplan est sans doute aucun l’un (l’une) des rares auteurs dramatiques français digne de Bernard – Marie Kotès et de Jean – Luc Lagarce, disparus dans la fleur de l’âge. Si son sentiment de l’absurde qui gouverne nos vies évoque Beckett son propos est par ailleurs en prise directe avec notre désolant présent. On repère dans le maelström de paroles que déversent les deux occupantes du plateau (phénoménales Frédérique Loliée et Elise Vigier) l’aversion qu’inspire à l’auteur la société néo- libérale, le peu de cas qu’elle fait de nos préoccupations et son acharnement à rejeter les fous, c’est à dire tous ceux qui ne marchent pas au pas, hors de l’humanité. On peut plus qu’on ne l’a jamais fait parler de déraison d’état.
La mise en scène réalisée par les deux comédiennes étincelantes de fantaisie n’est que fulgurantes inventions. Le décor conçu par Yves Bernard, au début d’une somptueuse sobriété n’arrête, pour notre plus grand bonheur, de se transformer. Si son contenu est justement alarmiste, le texte de Leslie Kaplan est souvent d’une décapante drôlerie. « Une femme n’est pas grand chose » écrit-elle « la preuve c’est que dieu n’est pas marié » ou tombe malicieusement sous le sens: » toute cette civilisation, tous ces siècles et ces siècles de civilisation pour en arriver là. »
Avec les créations de « Ma chambre froide de Joël Pommerat et Louise , elle est folle de Leslie Kaplan, ce début du mois de mars fournit la preuve que le théâtre, que tant – nos gouvernants en tête – veulent croire moribond, a sacrément repris du poil de la bête.
Jusqu’au 27 mars Maison de la Poésie tel 01 44 54 53 00
Publié par Joshka Schidlow

Télérama.fr
12 mars 2011, par Emmanuelle Bouchez
“Louise, elle est folle”, un texte scandé qui se joue des clichés.
LE FIL ARTS ET SCèNES – Jusqu’au 27 mars à La Maison de la Poésie, à Paris, deux comédiennes jouent un texte de Leslie Kaplan qui interroge le sens des mots et sur la réalité quotidienne.
Poings serrés dans les poches, têtes enfoncées dans les capuches, elles déboulent sur scène avec une féroce volonté. Et se plantent face à face, commençant aussitôt leurs arguties : « Tu m’as trahie, tu m’as volé mes mots », dit la plus virulente à la plus discrète qui fait plus ou moins la sourde. Et ça continue, elles ne s’entendent pas sur le sens des mots. Ni ne se mettent vraiment d’accord sur la réalité du monde qui les entourent : sur les choses (le choix du maillot de bain), les gens (« y’en a trop, y ‘en a partout »), ou les transports en commun (« Tu prends le RER ! Mais c’est mal éclairé ! »)… Ces deux filles-là sont deux urbaines à la logohrrée intarissable, des commères d’aujourd’hui épluchant les clichés (peurs, fantasmes, et images toutes faites) en s’acharnant sur les mots.
Sur le plateau de la Maison de la Poésie à Paris, les deux actrices Frédérique Loliée et Elise Vigier jouent leur partition en virtuoses. Allant jusqu’à assumer avec doigté, les fêlures de leurs voix quand elles tentent un récitatif slamé-chanté… Il y a sans doute deux explications à cela. Ce texte scandé a été écrit pour elles par l’écrivain Leslie Kaplan, essayiste d’origine américaine qui depuis les années 70 observe la vie en France – à l’usine ou dans les cités comme dans les facs… Et puis les deux comédiennes sont complices depuis toujours, cofondatrices avec Martial di Fonzo Bo, Pierre Maillet et d’autres, du Théâtre des Lucioles en 1994, ce fameux collectif issu de la première promotion de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne.
Elles ont elles-mêmes mis en scène leur drôle de show comme une revue où la harangue remplace la chanson, où l’image vidéo (façades d’immeubles de cités, ou prairies peuplées de chimères) devient comme un escalier somptueux. Mais sous leur cocasserie, c’est aussi la question du vivre ensemble qu’elles abordent : comment se débrouille-t-on avec l’identité, avec toutes nos identités. Et pas seulement avec l’origine des mots.

toute la culture.com
jeudi 10 mars 2011
Louise, elle est folle réinvente l’éternel féminin à la Maison de la Poésie
Après « Duetto 5 – Toute ma vie j’ai été une femme », Frédérique Loliée et Elise Vigier (Théâtre des Lucioles) mettent en scène et jouent un nouveau texte de Leslie Kaplan (L’excès-l’usine, Le psychanalyste, Fever) interrogeant l’identité féminine contemporaine. Un spectacle extrêmement
inventif, grouillant de vie autour des mots et soulevant des questions sociales centrales. A voir jusqu’au 27 mars 2011 à la Maison de la Poésie.
« Je veux explorer plus loin ce que signifie pour moi être une femme ici et maintenant, une femme comme je l’ai écrit en ‘proie’ aux mots, au langage aussi bien qu’à la société d’aujourd’hui. Rien n’est donné une fois pour toutes, rien ne peut se réduire à ‘une catégorie, une case, ou un cas. » Leslie Kaplan.
Frédérique Loliée et Elise Vigier sont deux femmes contemporaines, deux citadines, avec leur lot de préoccupations banales et existentielles, avec leur comptant de mots et avec leurs découvertes. Double l’une de l’autre, elles sont si semblables qu’elles doivent user d’une tierce personne – la fameuse Louise qui est folle – pour pointer vers l’autre, vers ce qu’elles ne veulent pas devenir. Sur scène, elles alternent des scènes d’extérieur et les moments d’intimité en appartement, en passant d’un côté et de l’autre d’un écran / fenêtre qui les laisse voir en ombres chinoises dans leur intérieur ou qui les expose, visage nu, au public quand elles boivent des bières dans la rue. Dans les superbes décors d’Yves Bernard, Frédérique Loliée et Elise Vigier se montrent toujours extrêmement inventives : elles dansent, crient, menacent, passent du côté du public, raccourcissent leurs jupes, et prennent des douches. Et cette énergie réjouissante est toujours juste, décrivant un nouvel état de la femme sans jamais la figer dans l’hystérie.
Le texte de Leslie Kaplan (auteure en résidence à la Maison de la Poésie en 2009, et dramaturge de Rosa la Rouge mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo) fonctionne à la manière des tropismes de Nathalie Sarraute : partant d’une réflexion, chaque scène s’emballe dans le sillage des mots qui interrogent partant des cochons, du sexe, ou du vol de mots pour grimper jusqu’aux cieux aux qualificatifs innombrables. En creusant les mots, les comédiennes offrent de fascinantes plages de libertés : des zones où rien n’est «donné une fois pour toutes», et où les identités ne se laissent jamais enfermer dans des boîtes. Un spectacle ensorcelant.

nomenculture.free.fr
revue littéraire et culturelle
mercredi 9 mars 2011, par Hubert Camus
Texte de Leslie Kaplan, mise en scène et jeu de Frédérique Loliée et Elise Vigier, à la Maison de la Poésie « Louise elle est folle ». La phrase redondante, répétitive. L’accusation qui rythme la pièce. Bien sur Louise n’est pas là. De toute façon « Louise, elle est folle ». L’absence de Louise, et beaucoup d’autres éléments dans le texte font penser à Beckett. Mais ce n’est pas un plagiat : c’est son inspiration, sa culture qui donnent un texte magnifique vraiment personnel.
En scène, deux femmes. Plus jeunes mais pas encore âgées, elles se défoulent tant dans leurs mots qu’avec leurs corps. Entre deux réflexions absurdes ou profondes (selon l’auditeur), elles n’hésitent pas à chanter et danser.
Ces deux femmes parlent de la parole, de paroles volées, de politique, des gens, de la téléréalité… elles parlent de la vie. L’équilibre est parfait : ni trop lourd d’intellectualisme, ni trop léger. Tout à fait maîtrisé. Ne seule critique au niveau du texte : la phrase « Louise, elle est folle », présentée comme leitmotiv, est oubliée assez vite dans le dialogue.
Les comédiennes sont fabuleuses. Leur interprétation est juste et passionnée. Elles boivent une bière, fument, vident leurs poches de leurs déchets… la scène est mise à mal et mouillée : elles vont se laver les cheveux tous les jours pendant un mois. Au niveau du décor, il n’y a qu’un immense mur blanc, carré, au milieu. Ce sera un espace à part entière, avec sa surface, un fond et un entre-deux. Les comédiennes y évolueront avec des possibilités d’ouverture et des projections photo ou vidéo. Sur la fin de la pièce, une comédienne passe dans le rang. C’est toujours surprenant, surtout que c’était celui où j’étais.
Louise, elle est folle est une pièce aussi intéressante que bien maîtrisée, dans un petit théâtre au milieu d’un étroit passage, avec une programmation de qualité.
Mais les pièces ne sont pas jouées longtemps : il faut s’y précipiter.

www.lejdd.fr
mardi 8 mars 2011
Les femmes, la ville, la folie, les mots
Un texte de Leslie Kaplan incarné par deux interprètes étonnantes.
Un fantasme de la folie urbaine.
C‘est un texte haché, comme un langage du quotidien, écrit par Leslie Kaplan pour deux comédiennes metteuses en scène : Frédérique Loliée et Elise Vigier, qui ont une place à part dans l’univers théâtral, notamment par leur façon de s’approprier la scène. Avec elles deux, le plateau devient un élément à part entière de l’écriture. Là, deux amies, deux femmes isolées dans la ville, et qui pourraient n’en être qu’une. Chacune se parle tantôt à elle-même tantôt entame un dialogue avec l’autre. Que du banal, des choses de tout les jours, avec un leitmotiv: « Louise, elle est folle » qui va disparaître.
On ne saura jamais qui est Louise, sans doute un fantasme de la folie urbaine. Les deux interprètes –étonnantes- investissent de tout leur corps ces mots courts, les font valser en l’air ou se chevaucher, les dansent en rythme. L’intelligent et astucieux dispositif scénique –un cube translucide installé sur le plateau- suggère différents espaces et, grâce à un système de projections, permet toutes les fantasmagories. Il est formidablement habité.

Premiere.fr
lundi 7 mars 2011, par Marie Plantin
Louise, elle est folle
Théâtre critiques du 02/03/2011 au 27/03/2011
La critique de la rédaction
Frédérique Loliée et Elise Vigier nous entrainent dans une spirale implacable, à la fois irrésistiblement drôle et inquiétante, celle de la folie ordinaire. Celle qu’on ne soupçonne pas et dont on ne se méfie pas mais qui est bien là, latente, qui couve dans nos modes de vie infernaux, et pointe son nez dans nos expressions figées, souvent absurdes, dans nos stéréotypes ancrés. Celle qui s’insinue dans les mots que nous employons, presque malgré nous, qui nous révèle aux autres et nous entraîne sur une pente glissante, vertigineuse, dangereuse peut-être. Si elles forment un duo de comédie impayable, déjà testé dans leur premier opus, « Duetto 5 –Toute ma vie j’ai été une femme », Frédérique Loliée et Elise Vigier (du passionnant collectif Les Lucioles) n’en sont pas moins trois. L’écrivain Leslie Kaplan est le troisième larron de cette foire à l’empoignade verbale, aux dialogues qui dérapent, au réel qui échappe. Elle a conçu ce texte (son deuxième écrit théâtral et sa deuxième collaboration directe avec les comédiennes) en simultanéité avec le travail du plateau autour d’une réflexion commune autour des mots, des femmes, de la ville et de la folie. Dans une scénographie géométrique et léchée, sur laquelle viennent s’apposer les vidéos puissantes de Romain Tanguy, les deux comédiennes entreprennent une joute verbale insensée, un cheminement sinueux dans le langage quotidien doublé d’un parcours physique qui engage le corps entier et entraîne dans son sillon une collection d’images représentatives de la folie. La prestation de Frédérique Loliée et Elise Vigier surprend par l’amplitude de jeu déployée car si elles démarrent le spectacle en badinant, c’est sur un tout autre ton qu’il se finit. Empreint d’une gravité insoupçonnée. On aime la vivacité de leur échange, ce rythme ping-pong qui raye toute psychologie de leurs propos, leur façon d’aller jusqu’au bout de l’extravagance sans complexe et sans peur. Quant au texte lui-même, s’il démarre sur les chapeaux de roue et nous emporte dans son flux tendu doux-dingue confinant à la poésie, à force de traquer la folie dans le verbe, il vrille tant et se dilate à tel point qu’il finit par nous perdre en cours de route et nous laisser flottant et perplexe, sans trop savoir comment rattraper le fil. On sort de ce tourbillon dans un état ambivalent, avec l’impression d’avoir plongé mais le léger regret d’une immersion incomplète.

De belles choses / Blog Culturel
Lundi 7 mars 2011, par Danielle Birck
« Louise, elle est folle » à la Maison de la Poésie : Les mots, les femmes, la ville et la folie
Les mots, ce sont ceux de Leslie Kaplan, auxquels le talent des actrices Frédérique Loliée et Elise Vigier donne vie. Deux femmes qui font exister celles qu’on ne voit pas, Louise et toutes les autres, dans la ville. Quant à la folie, elle rôde à la lisière des mots et d’un quotidien que décor et vidéo suggèrent subtilement entre réel et virtuel. Louise, elle est folle est une création du Théâtre des Lucioles.
Histoire de mots, Louise, elle est folle est le deuxième texte théâtral de Leslie Kaplan qui collabore avec le collectif des Lucioles et ses créatrices, les actrices et « metteuses en scène » Frédérique Loliée et Elise Vigier depuis près d’une quinzaine d’années. Comme le texte précédent, Toute ma vie j’ai été une femme (1), il est né d’une élaboration collective faite d’ « allers-retours entre l’écriture, la lecture et le travail de plateau », explique l’auteure. D’où la qualité et la force du dialogue entre ces deux femmes sur la scène.
Un affrontement plus qu’un dialogue en fait, puisqu’elles « s’accusent, se renvoient la balle (…) comme si chacune représentait pour l’autre quelque chose qu’elle rejette, pourtant il s’agit de faits connus, de comportements habituels, d’attitudes vues partout, de phrases entendues partout, acheter n’importe quoi, voyager sans voir, manger sans penser, vouloir gagner, l’horreur quotidienne et au cinéma, les clichés, les clichés, les clichés… », écrit Leslie Kaplan, dans Renversement, le texte dans lequel elle explicite sa démarche théâtrale, « contre une civilisation du cliché, la ligne Copi-Bunuel-Beckett ». (2)
Sous les clichés, l’angoisse.
Celle-ci surgit dès lors qu’on s’y arrête pour y chercher un sens, à ces mots, ces phrases qu’on dit en y pensant plus ou moins et que l’autre entend en y prêtant plus ou moins attention : « tu parles, mais qu’est-ce que tu dis ? », à moins qu’ils ne blessent, brusquement. Ces mots qui parlent de soi, des autres – de Louise, par exemple : « elle est folle ou elle est bête ? » -, de la société (de consommation) de la politique (dans ses dérives d’extrême droite), du monde… sans oublier Dieu, source d’interrogations métaphysiques ou triviales ou dans l’air du temps : « Est-ce que Dieu est d’origine française ? ».
D’ailleurs, on s’interroge beaucoup sur Dieu dans ce dialogue, beaucoup plus que sur Louise, – mange-t-il ou ne mange-t-il pas ? Si oui, mange-t-il du cochon ? Toujours sur le mode de l’affrontement : « Moi, Dieu (…) je sais qu’il ne mange pas de cochon », dit l’une. « Je te trouve bien dogmatique », rétorque l’autre.
L’affrontement se fait même pugilat sur la question apparemment futile de savoir si « Dieu est à la mode » ou si « Dieu est indémodable ». Jusqu’à cette « preuve par Dieu » : « La preuve qu’une femme n’est pas grand-chose, c’est que Dieu n’est pas marié »… Bien sûr, on rit. Comme on rit souvent pendant le spectacle, lorsque l’enchaînement des mots et des phrases poussant la logique jusqu’à l’absurde, un peu à la Devos, renverse carrément les choses.
« Quand j’écrivais Louise, elle est folle, j’avais souvent en tête le mot « renversement », le désir et le plaisir qui vont avec », dit Leslie Kaplan. « Le renversement a un effet jubilatoire, il est un des ressorts du comique, de l’humour, du gag », rappelle-t-elle. (3). Il est aussi un des ressorts qui permet dans la vie d’échapper au cliché, au dogme, de respirer, d’ouvrir sur un autre possible. Mais au prix d’une conquête quotidienne, « à tous les jours retrouver concrètement ».
Ce n’est pas joué d’avance quand on est une femme, quand « le ciel est bas, la ville est sale » et qu’ « il y a trop de gens partout »… Qu’il faut trouver sa place dans la vie et dans les mots, des mots à soi, pour l’autre ne puisse pas dire « tu m’as trahie, tu m’as pris mes mots… » – c’est d’ailleurs ainsi que commence le dialogue -, mais comprenne et prenne le temps d’écouter. On peut échouer, paniquer ou se réfugier dans la divagation – « les nuages et les ciels » -, la folie dans laquelle finit par s’enfermer (s’évader ?) une des deux femmes restée seule sur la scène, tandis que l’autre à l’écoute des bruits du monde se faisant de plus en plus menaçants (guerre ou cataclysme ?) demande de la salle « Qu’est-ce qui se passe ? ». Ultime et pathétique interrogation sur laquelle tombe le rideau.
Les corps et le décor.
Les mots de Louise, elle est folle, les actrices remarquables que sont Frédérique Loliée et Elise Vigier les imposent, les font vivre par leurs voix et leurs corps, sans temps mort tout au long du spectacle. Lequel doit beaucoup aussi au décor signé Yves Bernard. Au départ minimaliste, inscrit dans un panneau à la Mondrian, la vidéo de Romain Tanguy va bien vite l’animer, avec des variations de perspectives et d’espaces. Les actrices s’y déplacent, entre le réel et le virtuel, réalisme d’un vrai lavabo et d’une douche sous laquelle elles se lavent les cheveux ou poésie de la traversée d’un tableau, comme d’un miroir. Sans oublier le son de Teddy Degouys, autre élément de l’alchimie réussie de cette mise en scène de Louise, elle est folle.
Cette création s’inscrit dans un projet européen entre le théâtre des Lucioles, le Teatro Stabile de Naples et la fondation d’Art Artéria à Varsovie, avec le soutien notamment de la Maison de la Poésie et du Cent- Quatre à Paris. C’est d’ailleurs dans ce lieu que le public était convié à assister à deux avant-premières de Louise, elle est folle, avant la présentation du spectacle à la Maison de la Poésie.
On a eu le plaisir de constater à cette occasion que ce magnifique et immense établissement artistique de la Ville de Paris, ouvert en 2008, prenait vie, après un démarrage difficile et un changement de direction. On pourra aussi y revenir pour les séances de dédicaces de Leslie Kaplan qui auront lieu à la Maison de la Poésie mais aussi à l’Atelier, la librairie du CENTQUATRE.
(1) Edité chez P.O.L. en 2008. (2) Le texte de figure à la suite de Louise, elle est folle, dans l’édition que bient de publier P.O.L. (3) Et ce n’est pas un hasard si dans Louise, elle est folle, il est aussi question d’escargot, en référence à Arthur, celui qui dialogue avec La Femme assise, de Copi.

Un fauteuil pour l’orchestre.
« Louise, elle est Folle » de Leslie Kaplan
04 mars 2011, par Bruno Deslot
La folie d’une autre !
Louise, elle est folle, deuxième texte théâtral de Leslie Kaplan qui s’inscrit dans le cadre de sa résidence à la Maison de la Poésie au cours des saisons 2010/2011 et 2012 et fait suite à sa précédente création « Duetto 5 – Toute ma vie j’ai été une femme », présentée la saison dernière à la Maison de la Poésie. Entourée de ses fidèles collaboratrices, Frédérique Loliée et Elise Vigier, Leslie Kaplan poursuit sa réflexion sur les mots, la ville et la folie, en donnant naissance à « Louise, elle est folle ». La folie explorée dans une forme langagière récurrente, proche de l’obsession, qui tente d’atteindre le principe même de réalité. Mais quelle réalité ? Quelle folie ? Celle que l’on enferme ou bien celle que l’on singularise ou banalise pour ne pas à avoir à s’en inquiéter ?
Parcourant la coursive de la grande salle de la Maison de la Poésie, passant une porte pour accéder au plateau, Frédérique Loliée et Elise Vigier sont déjà en errance tout comme les mots, lâchés en rafales une heure durant. Sur un sol brut, sous un éclairage sobre, les deux femmes débutent une course folle aux mots, ceux qu’elles s’empruntent, se dérobent, s’approprient, s’arrachent dans un questionnement sans cesse renouvelé ne trouvant ni réponses, ni solutions à leur épopée « philosophique » ! Mais est-ce bien l’objectif de cette parade, de cette folie sémantique qui additionne les propos saugrenus ? Les mots constituent eux-mêmes un personnage incarnant toute la violence des sociétés urbaines, absorbant, par couches successives, les sédimentations d’un terrain sur lequel les glissements sont nombreux.
La folie est bien présente, mais laquelle ? Celle, latente et que l’on tolère en la qualifiant de singulière avec un certain détachement afin de la banaliser, de la rendre ordinaire ou bien celle se situant « en dehors » de la réalité ? Depuis « Duetto 5 – Toute ma vie j’ai été une femme », Leslie Kaplan poursuit son exploration à propos de ce qu’est la femme, ici et maintenant, enrôlée dans une société, celle d’aujourd’hui. Ancrée dans une réalité que les mots font émerger par anaphore ou anticipation. « Louise, elle est folle », mais dans quelle mesure ? Parce que la ville est le lieu de tous les possibles ? Parce qu’elle permet la transgression, l’inattendu…
Des achats compulsifs, une absorption de bières bues à la hâte, une course poursuite parmi la foule hurlante de la ville, une agitation incessante générant une tension quasi palpable et voilà deux femmes en proie à des accusations réciproques, répétées inlassablement, exploitées avec perversion afin de bouter l’autre hors de ses limites. Mais lesquelles ? Celles imposées par le diktat d’une société qui les assignent à des faits, des comportements et des attitudes prévisibles ou bien celles circonscrites par les limites géographiques d’un urbanisme aliénant ? La réalité du propos se situe ailleurs que dans un monde bien ancré dans le présent, un présent charrié par les mots qui mettent à distance l’évidence même d’une société où l’on survit plus que l’on vit. Le langage constitue le trait d’union entre la folie incarnée par la figure de Louise et le principe même de réalité.
Dans une scénographie très moderne et sophistiquée, version Warlikowski dans son adaptation d’ »Un Tramway » donnée la saison passée à l’Odéon, les comédiennes sont contenues dans un intérieur à l’image de ces appartements urbains totalement impersonnels et pourtant si tendances. Des panneaux coulissants permettent des ouvertures vers l’extérieur, ou à l’inverse nous permettent de pénétrer l’intérieur de ces femmes dont le quotidien est d’une étonnante banalité. L’eau coule sur une grille d’égout servant de douche ou dans un lavabo dont le siphon est dévissé. La vie est bien présente, elle s’échappe de partout, investit le plateau, la mise en scène mais aussi la mise en images réalisée par une projection vidéo de toute beauté qui accompagne le jeu des comédiennes comme lorsque Frédérique Loliée se retrouve perdue parmi une foule apparaissant sur un écran en fond de scène et donnant l’impression d’une multitude étourdissante. Ou bien, lorsque les vaches défilent en arrière-plan pendant qu’Elise Vigier raconte l’histoire de cet ami, éleveur de vaches, qui un jour se retrouve face à son assiette constatant qu’il s’apprête à manger la cuisse de Berthe, sa vache préférée ! Sur la façade de cette « maison de poupées », plantée au milieu du plateau, des images de grands ensembles sont projetées. La cité, la polis dans toute sa splendeur avec pour paysage sonore un univers urbain facilement identifiable, accompagne le propos avec toujours plus de pertinence. Yves Bernard a réalisé une scénographie remarquable, la situant au plus proche du champ sémantique exploré par l’auteur, entre rêve et hallucination. Le tissu rouge pourpre dont Elise et Frédérique s’entourent la taille, rappelle celui des peintures du Caravage. Que d’élégance !
Depuis « Duetto 5 – Toute ma vie j’ai été une femme », une véritable complicité s’est établie entre Leslie Kaplan et les deux comédiennes du théâtre des Lucioles et dans « Louise, elle est folle », c’est la consécration.

La Terrasse
Mars 2011
Entretien avec Leslie Kaplan par Manuel Piolat Soieymat
LE « MOT COMME QUESTION » : UNE SPÉCIFICITÉ DU THÉÂTRE
APRÈS TOUTE MA VIE J’AIÉTÉ UNE FEMME EN 2008, LESLIE KAPLAN POURSUIT SON COMPAGNONNAGE AVEC LA COMPAGNIE DU THÉÂTRE DES LUCIOLES EN SIGNANT LOUISE, ELLE EST FOLLE, SON DEUXIÈME TEXTE DE THÉÂTRE. SUR LA SCÈNE DE LA MAISON DE LA POÉSIE, FRÉDÉRIQUE LOLIÉE ET ELISE VIGIER INVESTISSENT CETTE RÉFLEXION « SUR LES MOTS, LES FEMMES, LA VILLE ET LA FOLIE ».
Comment avez-vous été amenée à travailler avec la compagnie du Théâtre des Lucioles ?
Leslie Kaplan : J’ai rencontré les Lucioles alors qu’ils étaient encore élèves au Théâtre national de Bretagne, au moment ou ils fondaient leur collectif. C’est Claude Régy – qui avait mis en scène l’un de mes textes (Le Criminel) au Théâtre de la Bastille en 1988, qui leur a conseillé de prendre contact avec moi dans le cadre d’un projet d’atelier qu’ils souhaitaient organiser à la Centrale de Rennes. Les Lucioles ont ainsi monté mon texte L’Excès- L’Usine avec des femmes détenues. C’était en 1994. Après cela, nous avons continué de nous voir, de travailler ensemble. Je peux d’ailleurs dire que c’est la fréquentation des Lucioles qui m’a appris ce que c’est que d’écrire pour le théâtre.
Quelles nouvelles zones d’écriture le théâtre vous a-t-il permis d’explorer ?
L. K. : J’ai toujours été très intéressée par les dialogues. Comme toute bonne Américaine (ndlr, Leslie Kaplan est née à New York en 1943), j’ai beaucoup lu F Scott Fitzgerald Ernest Hemingway… Dans mes romans, j’accorde une assez large part aux dialogues, mais je crois que le théâtre m’a vraiment fait réaliser l’importance du dialogue dans le langage. Qu’est-ce que parler, comment peut-on parler à quelqu’un? Le théâtre permet d’aborder ces questions de manière frontale. D’une certaine façon, il me semble que le théâtre est l’un des lieux où l’on peut parler à la fois de la façon la plus abstraite et la plus concrète, la plus pulsionnelle qui soit. On peut vraiment se tuer pour une idée au théâtre.
Est-ce à dire que votre relation aux mots est différente lorsque vous écrivez pour la scène et lorsque vous écrivez un roman ?
L. K. : C’est difficile à expliquer, mais je crois que oui. Si on parvient à maintenir le dialogue en tension, le « mot comme question » ressort de manière particulière au théâtre Les mots impliquent en effet des échos, des engagements différents chez le spectateur et chez le lecteur. Le lecteur peut poser son livre, revenir en arrière, sauter des pages… Il détermine lui-même son rythme de lecture et donc son rapport au texte. Au théâtre, la relation au mot est vraiment différent, elle est généralement plus violente que dans un roman, plus organique, plus physique dans son intensité.
Le langage est d’ailleurs l’un des thèmes centraux de Louise, elle est folle…
L. K. : Oui, après Toute ma vie j’ai été une femme, j’ai voulu continuer d’explorer ce que signifie être une femme ici et maintenant, une femme en proie aux mots, au langage aussi bien qu’à la société d’aujourd’hui, avec tout ce que celle-ci peut comporter de poids, d’inertie, de folie. Le thème de la folie occupe d’ailleurs une place importante dans ce texte. Est-ce Louise qui est folle? Ou les autres protagonistes? Ou la société elle-même? Nos dérives, mais aussi notre créativité, passe par des formes de décalage, d’écart, de marge, de transgression. Je tente de saisir comment la folie recoupe des données de notre monde commun comme la consommation, le spectacle, l’identité, l’étranger…
Tout cela est mis en perspective par les mots…
L. K. : Par les mots, par le langage, par la pensée. Une des questions qui revient dans Louise, elle est folle est de savoir comment parler en dehors des clichés, des mots définitifs et consensuels, comment attraper notre monde dans toutes ses dimensions, dans toutes ses directions, guidés que nous sommes par ce qui est dit, et par ce qui n’est pas dit mais qui existe à l’état latent.

Attractions Visuelles (Blog de Karminhaka)
Lundi 28 février 2011
Louise, elle est folle (Escrime verbale avec figure absente).
Texte de Leslie Kaplan
Conçu et interprété par Frédérique Lolié et Elise Vigier.
« … la preuve qu’une femme n’est pas grand chose, c’est que Dieu n’est pas marié »
Une femme, jupe courte, entre par une porte, suivie d’une autre, accrochée à ses basques comme un chien fidèle à son maître. Le temps d’aller refermer la porte, et le mouvement continue. Interdépendance des deux êtres, la seconde apparemment plus fruste, en appel de contacts, de reconnaissance. C’est pourtant celle qui est suivie, soi-disant la plus à l’aise par sa stature, qui délivre la première salve : « Tu as pris mes mots ». En une phrase, la question de la dépendance, de la crainte de l’autre, se renverse, pour concentrer la tension entre les personnages autour de la question du langage, de l’appartenance des mots. « Les mots sont à tout le monde », répond la deuxième. Dans cette réplique, il est moins question de délivrer une théorie du discours, même sur un mode léger, que d’installer, de prime abord, des tensions verbales amenant peu à peu la pièce vers un point de butée où la langue vient s’empêtrer en d’incessantes ritournelles. Que les mots soient à tout le monde empêche l’harmonisation du dialogue, la possibilité de créer une entente discursive, une intelligibilité des êtres. Cette disponibilité ne consacre pas la flambée heureuse du dialogue, loin de là, elle crée l’inverse, c’est-à-dire qu’on peut être amenés à se débattre avec tant de mots. A ne plus savoir comment faire avec la proximité de l’autre, on en vient à parler d’un tiers.
Le tiers, c’est Louise, qui donne son titre à la pièce, et elle est forcément folle. Manière de se rassurer, profondément incantatoire, en désignant les tares de l’autre avec d’autant plus d’assurance qu’il est absent. On voit ainsi se dessiner sous nos yeux – ou plutôt nos oreilles – la caractérisation d’une absente, détaillée, précise. Trop précise, trop chargée négativement pour que cela ne puisse pas susciter le doute. L’évocation de l’autre, dans son obstination critique, finit par jeter une ombre sur la compréhension du caractère des femmes présentes sur scène.
Le jeu de langage qui s’ensuit entre les deux vire à une sorte d’escrime confinant parfois au n’importe quoi. Délire des mots qui, à ne pas pouvoir mener vers une paix du dialogue, s’anéantit en répétitions, en réflexions totalement absurdes, inattendues, basculant vers l’improvisation jazzistique. La litanie verbale atteint un point d’achoppement tel, qu’à un moment donné, les deux femmes ne trouvent de respiration que dans la danse. Danse dont la maladresse affichée évoque plus les déhanchements d’une Anna Karina chez Godard (« Pierrot le fou » ou « Une femme est une femme »), que l’approche sérieuse de jeunes femmes se trémoussant dans une quelconque « dance academy » télévisuelle.
Évidemment, qualifier les dialogues de « Louise, elle est folle » d’absurdes, ne peut manquer de renvoyer aux figures tutélaires d’une forme majeure théâtrale incarnée principalement par Samuel Beckett et Eugène Ionesco. S’il est pertinent d’inscrire le texte de Leslie Kaplan dans cette fameuse filiation, on court pourtant le risque de lui ôter toute originalité. Il y a sans doute un dialogue secret qui se tisse avec ces auteurs mythiques, principalement avec Beckett, à travers notamment la question de l’absence. Quand les deux personnages de « En attendant Godot » sont effectivement supposés attendre quelqu’un (dans Godot, il y a God), les deux femmes de « Louise, elle est folle », dans leur jonglerie verbale, n’ont même plus la possibilité de s’ouvrir vers une prétendue dimension métaphysique ou spirituelle. A coup d’accusations, de dénigrements, elles s’embourbent dans leur joute en se déchargeant régulièrement sur l’absente. Manière de dissimuler les piques qu’elles se lancent. Mais l’absence de Louise renforce l’idée qu’elle est un miroir dans lequel les deux femmes ne veulent pas se mirer. Quand l’une dit : « Louise, elle est folle/elle achète tout/elle ne peut pas s’arrêter », quelques instants après, l’une essuie cette critique : « …tu n’as aucun principe/tu achètes un maillot de bain/ça te prend une semaine ».
Dans cette profusion d’échanges confinant à la litanie, où les mots s’entre-dévorent au point de basculer dans une irréalité burlesque, l’actualité n’est pas évacuée pour autant. Dernier rempart contre la folie qui menace, les critiques relatives à notre actuel président concernant ses positions sur les étrangers assoient un ancrage provisoire dans la réalité. Mais le thème de l’étranger, dans sa brûlante actualité, tourne très vite à la pantalonnade pseudo-métaphysique avec les interrogations sur la langue parlée par Dieu.
A côté de la présence concrète, vibrante et réjouissante des deux comédiennes, la mise en scène de « Louise, elle est folle » surprend beaucoup. Pour un spectacle durant à peine plus d’une heure, l’inventivité visuelle y est foisonnante, prenant un tour cartoonesque. Véritable machinerie d’une étonnante fluidité, que ne laissait pas présager les panneaux frontaux blancs du début. Tout y communique : les panneaux glissent, évoquant des intérieurs japonais ; une trappe s’ouvre, permettant au corps d’y disparaître en parcourant les entrailles de la construction ; des fenêtres coulissent, s’éclairent, jusqu’à ce que se forme une maison à part entière ; jusqu’à ce défilé d’un rouleau sur lequel apparaissent des personnages loufoques. Les comédiennes se transforment en ombres chinoises sans que cela nuise à l’unité de la pièce. Leur dispersion est au contraire magnifiée par l’animation constante de cette scénographie. Devant l’agitation débridée des deux femmes, celle-ci apporte une indispensable respiration.

Froggy’s Delight
27 février 2011
Louise, elle est folle.
Après « Duetto 5″ qui visait notamment la femme urbaine confrontée à la société de consommation, Frédérique Loliée et Elise Vigier, metteurs en scène, actrices et dramaturges du collectif le Théâtre des Lucioles, poursuivent avec « Louise, elle est folle » leur chemin exploratoire de la condition féminine contemporaine avec l’écrivain et auteur dramatique Leslie Kaplan.
Cette dernière qui est engagée comme elle l’écrit – ce qui vaut tous les pitchs pléonastiques – « dans ce que signifie pour moi être une femme ici et maintenant, une femme comme je lʻai écrit en proie aux mots, au langage aussi bien quʼà la société dʻaujourdʼhui » livre un texte à l’écriture radicale, émaciée jusqu’à l’os, pour traquer les mots, ennemis redoutables et véhicules anonymes du prêt-à-penser.
Au questionnement sur l’identité féminine et la vie sociétale urbaine, s’est ajouté celui de la folie « ordinaire » comme symptôme, mais également moyen, de résistance, voire de transgression, mais également comme expression de la liberté individuelle face aux schémas oppressifs induits par la société qui s’inscrit dans la conception freudienne de la folie en ce qu’elle y voit une composante de l’être de l’homme tout en inversant la proposition relative à ce que la folie limite sa liberté.
Les deux comédiennes le déclinent, comme elles l’explicitent dans leur note d’intention, sous « forme de conversation concrète et philosophique entre deux femmes qui pourraient être tout aussi bien une seule et même femme – sorte de bête à deux têtes – pour penser ». Deux femmes en miroir prises dans une spirale de folie circulaire génératrice de situations burlesques au sens premier du terme. Et l’arlésienne qu’est le personnage titre, qu’elles évoquent comme s’il s’agissait d’un tiers, n’en est peut-être qu’un avatar.
Dans le décor de Yves Bernard, cimaise toilée propice aux projections et à la traversée du miroir, Frédérique Loliée et Elise Vigier, toutes deux remarquables, construisent admirablement à partir de ce texte des personnages borderline sur le fil du rasoir, logorrhéiques et ressassants qui se se cognent au principe de réalité.
MM